Lettre ouverte d’une AED sur le lycée professionnel !

Je suis assistante d’éducation, (certains disent encore surveillante), je travaille à la vie scolaire d’un lycée professionnel à taille humaine du pays de Lorient. Comme mes 65 000 collègues AED de France indispensables au fonctionnement de nos collèges et de nos lycées, je suis donc une simple contractuelle précaire et mal payée, invisibilisée, par notre institution, et par une grosse partie des agents de l’Éducation Nationale.
Je vais être simple et directe : avec cette réforme de la voie professionnelle, et malgré les discours lénifiants, hypocrites et trompeurs du président, le gouvernement continue tout simplement la destruction de la voie professionnelle de l’Éducation Nationale. Oui, il s’agit bien d’une nouvelle destruction de tout un pan vital de notre service public.


En plus d’attaquer les métiers de l’enseignement professionnel, il s’agit de se débarrasser de 30% des lycéens français, c’est-à-dire de plus de 640 000 élèves selon les chiffres 2019 de la DEPP. (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance).
Nos élèves sont actuellement fortement poussés vers l’apprentissage, qui est aussi une façon de s’en débarrasser. La réforme est une nouvelle étape dans cette logique et n’en doutons pas, elle préfigure le projet pour l’ensemble du service public d’éducation :
Voici 3 points que le gouvernement veut imposer. Et ce n’est qu’un début.

Augmenter de 50 % les périodes de stage en entreprise (passage de 22 à 33 semaines sur 3 ans pour les bacs pro). Forcément, c’est autant de semaines d’enseignement en moins. Car en entreprise, nos élèves travaillent.

Sous prétexte d’autonomie, des expérimentations seraient menées dans les lycées pour ne pas respecter les grilles horaires disciplinaires nationales. En privilégiant ce que le gouvernement considère comme des « disciplines fondamentales », le français et les maths, au détriment des autres enseignements généraux qui pourtant sont essentiels dans l’émancipation des jeunes.

N’auront-il plus le droit de s’élever en apprenant les langues vivantes, l’histoire, la géographie, l’économie, le droit, les arts appliqués, l’EPS, la Prévention-Santé-Environnement, etc ?

Les fermetures et ouvertures de filières dans les établissements seraient décidées uniquement en fonction des besoins locaux de main-d’œuvre, ne laissant plus le choix aux jeunes du métier qu’ils veulent faire. Cela revient à les mettre à disposition de secteurs en tension, souvent en raison de conditions de travail et de salaire déplorables. C’est une grave remise en cause de l’égalité des élèves de la voie pro dans le pays.
Ce matin j’ai entendu sur une radio du service public, (hé oui… Encore un qui
est attaqué d’ailleurs), j’ai entendu une chronique sur un documentaire traitant de l’éducation publique française qui a été conçue comme le ciment de la nation. Un grand physicien y dit que “l’école, c’est entendre des choses qui nous sortent de notre milieu”.
Cette phrase résume selon moi parfaitement la mission de l’Éducation Nationale, et donc de la voie professionnelle.
L’éducation ne peut pas au service d’intérêts privés, sa mission n’est et ne peut pas être de fabriquer de la main d’œuvre mal payée à mettre à la disposition des patrons.
L’éducation doit permettre aux élèves à apprendre à réfléchir, à former leurs esprits critiques, à connaître l’histoire, la culture, les idées, à leur donner les connaissances nécessaires pour s’élever socialement, à acquérir des outils de défense intellectuelle…

À l’heure de la désinformation, du complotisme, de la perte de repères, de valeurs… À l’heure de l’affaiblissement du bien commun, de la démocratie, de l’individualisme. A l’heure des Trump, des Bolsonaro, des Le Pen, des
Zemmour, des Poutine, des Orban, des Meloni… C’est une folie d’abandonner toute une partie de notre jeunesse.
Nous devons au contraire réaffirmer la République, la chose publique. L’éducation est le socle de notre démocratie, et les 30% d’élèves de la voie professionnelle, qui sont souvent les plus défavorisés socialement, doivent en bénéficier, bien évidemment !
Nos jeunes sont encore protégés au sein des lycée pro, même si les moyens manquent cruellement (orientation, aides pour affronter des problèmes sociaux et familiaux souvent très graves, problèmes d’addiction et de santé, etc…)
En entreprise ils sont isolés, soumis aux risques d’accidents du travail, à la pression, la discrimination, aux manquements à la sécurité, aux violences sexistes et sexuelles, aux injustices, à l’exploitation, au racisme, etc…

Tout cela dès 15 ans ! Quel recul social effrayant pour nos jeunes mineurs !
Les lycées professionnels offrent des plateaux techniques souvent bien plus importants que ce que les jeunes peuvent trouver dans les entreprises.
La formation au sein des lycées pro doit être renforcée pour permettre à nos jeunes d’obtenir de meilleurs diplômes, de meilleurs salaires, et de rester maîtres de leurs carrières.
L’éducation républicaine ne doit pas avoir pour vocation de former un stock de travailleurs pour les entreprises privées, mais des citoyens éclairés et émancipés.
Nous sommes le premier service public d’état, le plus gros employeur du pays.
Pour l’égalité des jeunes face à l’enseignement, pour nos missions et métiers, il va falloir nous battre pour sauver la voie professionnelle de notre éducation républicaine, comme pour tous nos services publics.